Quels remèdes pour la francophonie canadienne ?

sep 04, 2021
Par VALÉRIE LAPOINTE-GAGNON
PROFESSEURE AGRÉGÉE, HISTOIRE ET DROITS LINGUISTIQUES, FACULTÉ SAINT-JEAN, UNIVERSITÉ DE L’ALBERTA
 

« Si l’on veut édifier et servir un pays fort et uni, il faut que les francophones et les anglophones, les uns comme les autres, puissent se sentir chez eux où que ce soit au Canada. »

Dans cette correspondance avec le président de l’Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan datée de 1973, le secrétaire d’État Hugh Faulkner reprend une déclaration du premier ministre de l’époque, Pierre Trudeau. Les langues officielles faisaient alors partie des enjeux prioritaires, constamment débattus sur la scène publique.

Or, cette conception d’un Canada où les francophones se sentiraient chez eux d’un océan à l’autre a toujours tenu plus de l’utopie que de la réalité. Les obstacles se sont multipliés dans les dernières années pour les communautés francophones vivant en milieu minoritaire. Luttes épiques devant la Cour suprême pour obtenir des écoles équivalentes à celles du système scolaire anglophone, promesse d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles qui n’a pas encore abouti, établissements postsecondaires de la francophonie canadienne qui vivent sur le respirateur artificiel, cibles en immigration francophone en dehors du Québec jamais atteintes ; vivre en francophonie canadienne est un sport de combat.

Depuis le début de la campagne électorale, les enjeux concernant les langues officielles se font discrets.

Jagmeet Singh a d’ailleurs commis un impair la semaine passée dans le dossier de l’Université Laurentienne à Sudbury, déclarant qu’il voulait sauver les programmes francophones de cet établissement qui se prétend encore bilingue, plutôt que de soutenir l’Université de Sudbury, située sur le même terrain. Cette dernière a récemment abandonné son statut bilingue et souhaite devenir l’université francophone indépendante dont rêve la population.

Le fiasco de l’Université Laurentienne

Les médias québécois et canadiens n’ont pas fait assez grand bruit du drame de l’Université Laurentienne. Au printemps dernier, l’établissement s’est placé à l’abri de ses créanciers, une aberration pour un établissement financé par les deniers publics.

Pour répondre à des années de mauvaise gestion, l’Université a sacrifié de manière disproportionnée ses programmes francophones, malgré leur rentabilité. Des professeurs, des chargés de cours et des membres du personnel administratif ont été congédiés de manière cavalière. Des étudiants se sont retrouvés confrontés à un dilemme douloureux : rester et étudier en anglais ou partir pour étudier en français. On peut ne pas s’émouvoir de la chute d’une université. Se dire qu’il y en a d’autres. Mais celle-ci fut un berceau de la révolution culturelle qui a marqué l’Ontario français dans les années 1970. Elle a accueilli des chercheurs et des créateurs qui ont donné une voix aux francophones du Nord. Elle faisait rêver des universitaires de première génération, avides de s’engager dans leur milieu.

Aujourd’hui, le lien de confiance entre la communauté francophone et la désormais Laurentian University est rompu. De toute manière, la minorisation du fait français ne datait pas d’hier entre les murs de l’université bilingue. Le projet porteur d’avenir est celui proposé par l’Université de Sudbury, une université par et pour les francophones.

Créer des îlots francophones

Si le bilinguisme a ses vertus, il faut, pour le maintenir, des foyers d’unilinguisme. Dans les années 1960, alors que les travaux de la commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme battaient leur plein et que les commissaires tentaient de trouver une solution à la crise canadienne, alimentée par un manque de reconnaissance du Canada français, le linguiste William Mackey a fait une présentation éclairante devant l’équipe de la commission sur l’essence d’un pays bilingue. Ce dernier soutenait que, pour maintenir le bilinguisme dans un espace nord-américain dominé par l’anglais, il fallait préserver des zones unilingues. Dans les espaces bilingues, le français finirait toujours second. Certains commissaires sont alors tombés en bas de leur chaise. Comment défendre un certain degré d’unilinguisme dans une commission prônant le bilinguisme ? C’était pourtant la chose à faire. Le Québec l’a d’ailleurs compris en adoptant la loi 101.

Ce petit détour dans le passé pour revenir à la campagne électorale et au sujet qui nous préoccupe. Il faut, pour que le français puisse survivre au pays, donner vie à des bulles francophones comme le sont les campus universitaires de la francophonie canadienne.

Ces espaces montrent que la vie en français existe, qu’elle n’est pas une anomalie, qu’elle appartient et contribue à la diversité. Ils constituent un milieu d’accueil pour les nouveaux arrivants à qui l’on vend ce Canada bilingue.

Or, de l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, en passant par l’Université de Moncton, l’Université de Saint-Boniface au Manitoba et le Campus Saint-Jean en Alberta, ces milieux sous-financés luttent pour remplir leur mission.

Les libéraux ont annoncé cette semaine vouloir doubler le soutien aux universités de la francophonie canadienne, le faisant passer de 40 à 80 millions par année. Le Parti conservateur promet quant à lui 30 millions. Jusqu’à maintenant, le financement du fédéral est souvent bloqué par des gouvernements provinciaux insensibles. Quelles stratégies les partis fédéraux envisagent-ils pour dénouer cette impasse ? Quelle est leur vision pour que les francophones se sentent chez eux ? Est-ce même important pour eux ?

Un débat sur les enjeux francophones est prévu à Radio-Canada le 15 septembre. Il demeure par contre essentiel que ces questions, qui dépassent bien sûr le financement du postsecondaire, ne soient pas cloisonnées à ce débat et soient intégrées plus ouvertement dans la campagne, et ce, dans les deux langues officielles.

La Presse