La chronique de Pierre Ganz : Vous avez dit embargo ?

sep 05, 2017

Savoir mais ne pas divulguer. En ces temps d’info continue et de publication instantanée de la moindre bribe d’information, cela peut paraître absurde. C’est pourtant une pratique des plus courantes entre les médias et leurs sources. Tous les responsables de la communication pratiquent l’embargo, et les journalistes peuvent y trouver leur intérêt.

En droit, un embargo est une interdiction ou une contrainte. En terme journalistique, l’embargo est une contrainte volontaire, résultant d’un accord entre deux parties : une source communique aux médias une information ou un document en leur demandant de ne pas la publier ou en faire état avant une date ou une heure prévue à l’avance. Ce n’est pas une exclusivité : en principe, la source qui fixe l’embargo ne doit pas faire de favoritisme et doit communiquer l’information sous embargo à tous les médias. Cela vise à donner aux journalistes le temps de prendre connaissance d’un contenu complexe. Ils peuvent ainsi préparer le traitement de l’information, rechercher des angles et des présentations adaptés à leur public, des compléments, voire des contrepoints.

L’embargo, pour être respecté, doit être justifié. Il doit concerner un sujet d’intérêt public. C’est par exemple un ensemble de mesures qui vont être annoncées lors d’une conférence de presse et dont le dossier technique est communiqué à l’avance aux journalistes. Ils ont ainsi le temps de les analyser. L’échange lors de la conférence de presse avec les décideurs sera plus fécond sur le fond. C’est un budget qu’on laisse aux journalistes le temps de consulter en détail avant sa présentation publique. C’est encore le texte d’un important discours qui est remis aux journalistes à l’avance : cela leur permet de mesurer la portée de l’intervention, voire, dans l’audiovisuel, de présélectionner l’extrait qui sera proposé au public - mais attention, l’intervenant peut sortir de son texte écrit et « seul le prononcé fait foi ».

Dans le domaine de l’information scientifique, l’embargo sur une publication dans une revue scientifique, écrivait en 2012 après une affaire retentissante l’Association des Journalistes Scientifiques de la Presse d’Information, permet « aux journalistes spécialisés en sciences de soumettre ces articles au regard critique des scientifiques du domaine » concerné.

Un embargo peut être justifié au nom du respect des personnes : ne diffuser le nom de victimes, s’il y a un intérêt public à les diffuser, que lorsque leurs proches sont informés. Il peut l’être pour des raisons de sécurité. Par exemple lors de prise d’otages ou d’attentat, pour ne pas compliquer ou entraver le travail des forces de l’ordre. Mais la légitimité de ce genre d’embargo est vite nulle lorsqu’il ne s’agit que de maitriser la communication dans le sens des autorités. Sur des enquêtes en cours, on a vu des juges ou des policiers confirmer une information mais demander qu’on en retarde la diffusion. Cela est acceptable sur quelques heures ou quelques dizaines d’heures, « si la demande est justifiée de manière convaincante » dit le code la presse allemande. Ensuite l’intérêt du public à être informé prime.

Un embargo ne peut jamais être justifié pour des raisons publicitaires ou commerciales. Les confidences sous embargo des communicants visent une diffusion ciblée dans le seul intérêt de la stratégie de l’entreprise qui les paient, pas de l’information du public. Les pressions de certains producteurs et distributeurs pour interdire qu’on parle d’un film avant sa sortie en salle relèvent de la stratégie commerciale, pas du souci de faciliter le travail des journalistes. L’embargo n’est pas un contrat commercial mais un engagement moral : il ne doit jamais prendre la forme d’un engagement écrit, assorti ou non de sanctions, comme on l’a vu dans le cinéma avec les « embargo critiques ». Les critiques ne devraient pas céder à la menace d’être privés de projections ou de conférence de presse et choisir de parler d’une œuvre quand bon leur semble, quitte à les voir avec le public en payant leur place.

Il faut avoir ces balises en mémoire quand on accepte ou refuse un embargo. Le briser est non seulement manquer à sa parole vis-à-vis de sa source, mais aussi manquer de confraternité : « rompre un embargo, c’est s’offrir un scoop facile au mépris de la loyauté » dit le code de déontologie journalistique belge. Bien sûr, si un journaliste a obtenu auparavant les mêmes informations d’autres sources, il n’est pas tenu par l’embargo. Et rien ne lui interdit de chercher des informations sur le même sujet auprès d’autres sources.