« Journalismes d’Afrique » : Les pratiques de la profession à la loupe de Marie-Soleil Frère

mar 07, 2018

Marie Soleil Frère a procédé, le jeudi 1er février 2018 à Ouagadougou, à la dédicace de son nouvel ouvrage littéraire. Baptisée « Journalismes d’Afrique », l’œuvre passe en revue les pratiques des professionnels de l’information de 17 pays d’Afrique francophone. Le Professeur Frère fait le résumé de ses 25 ans d’expérience en Afrique. C’est connu. Le journalisme est unique. Mais les manières de le pratiquer ainsi que les contextes dans lesquels il est pratiqué diffèrent d’un pays à un autre. Pendant 25 ans, le Professeur Marie Soleil Frère a trainé sa bosse d’enseignante dans plusieurs pays d’Afrique et d’Europe. Dans l’ouvrage qu’elle a dédicacé jeudi 1er février 2018 à Ouagadougou, Mme Frère fait l’économie de ses années passées au contact des praticiens du métier. Ce sont au total 17 pays d’Afrique francophone qui ont été couverts par l’étude. Le système des médias « J’ai écrit plusieurs livres mais celui-là fait le résumé de mes 25 ans d’expérience en Afrique », a expliqué d’entré l’auteur. L’histoire débute au Niger. « Avant l’indépendance, la presse privée avait été éradiquée au Niger. Et lorsqu’elle a été rétablie, j’ai voulu comprendre comment les gens trouvaient ce nouvel espace d’expression qu’ils retrouvaient », a-t-elle ajouté. Partie de la presse écrite, Pr Frère se rend vite compte que la radio avait aussi été libéralisée et que des médias nouveaux ont vu le jour. Le corpus de la recherche évolue et embrasse tous ces médias. Aussi, les mutations politiques dans ces pays qui venaient d’adopter la démocratie comme mode de gouvernance avec ces différents modes d’installation ont dû être incorporées par le chercheur. « J’ai aussi voulu comprendre le rôle des médias dans l’évolution de la démocratie, dans les conflits, dans les processus électoraux », a précisé Pr Marie Soleil Frère. Pour mener ses recherches, le Pr Frère s’est fondée sur la notion de Système. « Car, dit-elle, il est difficile d’isoler le fonctionnement d’un individu dans un environnement. Il faut le placer dans l’ensemble des acteurs avec lesquels il a des interactions ». La pratique du journalisme est donc analysée sous plusieurs angles dont le marché des médias, l’intervention de l’Etat dans le secteur, le développement du professionnalisme et le statut et la pérennité des acteurs dans la profession. Journalismes tributaires du marché Selon Marie Soleil Frère, les pratiques du journalisme sont influencées par le marché des médias. « Le journalisme s’insert dans un environnement économique », fait-elle relever. Prenant le cas de Ouagadougou, elle a indiqué que le marché de la publicité est restreint alors que les médias sont nombreux. Il se pose alors la problématique de l’accès aux financements pour la survie des organes de médias. L’Etat vole alors au secours de la presse en créant des fonds d’appui à la presse privée. Seulement, dans certains pays comme le Cameroun, le Togo, ces fonds sont plus utilisés pour diviser la corporation que pour le développement des médias. Ainsi, les médias acquis à la cause des pouvoirs en place reçoivent plus de financements. Outre cela, l’intervention de l’Etat dans le secteur de la presse se manifeste sous d’autres angles : adoption de lois sur la liberté de la presse, création d’instances de régulation des médias. Seulement, ce qui est fait pour favoriser les médias, se retourne, au gré du pouvoir, contre eux. « Nous avons vu des procès de presse politiquement téléguidés. Parce que la justice n’est pas indépendante », a-t-elle fait remarquer. Les instances de régulation deviennent très souvent des instruments politiques contre les journaux. Elles les suspendent pour des raisons souvent discutables. Le Burkina, selon Marie Soleil Frère, a connu une presse de pluralisme autoritaire pendant 27 ans. Parce que le régime en place avait créé les conditions d’une presse plurielle et libre mais utilisait ces instruments inventés pour les journaux. « Les médias opposés au pouvoir ne recevaient pratiquement pas de financements, ils n’avaient pas aussi de la publicité et il leur était difficile d’exercer le métier à cause des menaces », a révélé l’auteur. C’est aussi le cas dans plusieurs autres pays d’Afrique. Le professionnalisme à l’épreuve de la pauvreté Pourtant, presque tous les journalistes ont été formés au métier. Ils connaissent les principes de déontologie mais les transgressent pour plusieurs raisons. Le principal facteur est la pauvreté. « Si à Ouagadougou on gagne 80 000 francs CFA par mois comme salaire, il est difficile de vivre », a-t-elle indiqué avant d’ajouter que cette précarité ouvre la porte à tous les abus. En République démocratique du Congo, par exemple, certains scribouillards se sont mus en maîtres-chanteurs extorquant de l’argent à des dignitaires. Même si la situation ne s’est pas encore autant dégradée au Burkina, il existe cependant le cas du gombo (des frais de carburant ou autres défraiements octroyés aux journalistes lors des reportages). Pourtant, selon Marie Soleil Frère, la solution existe : il faut payer des salaires consistants aux journalistes. Pour une presse professionnelle au service des populations, il faut donc assurer aux journalistes un environnement sécurisé. C’est du moins la conclusion de Marie Soleil Frère. Le livre est disponible dans les librairies à Ouagadougou. Jacques Théodore Balima Lefaso.net