La fausse bonne idée du conseil de déontologie

fév 06, 2018

Pour contrer les effets d’une télévision gonflée à la pensée unique, ce conseil, présenté comme une solution, ne réglerait pas les causes du problème.

Son passage à l’Émission politique de France 2 n’a pas plu à Jean-Luc Mélenchon. Le 30 novembre dernier, il s’est senti «piégé» par les journalistes, citant des « contradicteurs dont l’engagement politique est caché » et des « mensonges présentés comme des faits par le journaliste économique ». « Ces fautes déontologiques sont récurrentes dans cette émission mais, d’une façon générale, elles restent sans recours en France », écrit le député « France Insoumise », en préambule d’une pétition (167 000 signatures) qui appelle à « la création d’un conseil de déontologie du journalisme en France ». Il aurait, précise-t-il sur son blog, le « pouvoir de sanction symbolique contre les menteurs, les tricheurs, les enfumeurs ».
Cette proposition a été maintes fois commentée, provoquant curiosité ou indignation de la sphère médiatique, soucieuse de sa liberté d’informer. C’est que, si les textes qui engagent « l’éthique » du journaliste ne manquent pas – « juridiction de ses pairs » évoquée par la charte des devoirs professionnels des journalistes français de 1918, charte de Munich de 1971 ou « charte maison » de la loi Bloche, adoptée par les rédactions depuis juillet dernier –, la sanction, même symbolique, ne s’applique effectivement pas. Alors, l’idée d’un conseil déontologique revient « depuis les années 1990, à chaque fois que de grosses dérives se sont posées », commente Jean-Marie Charon, sociologue des médias et auteur d’un rapport pour la ministre Catherine Trautmann (de 1997 à 2000) sur cette question. « Loin d’être miraculeuse » dans les pays européens qui possèdent un conseil de ce type, cette proposition serait même « contre-productive », selon le chercheur, qui estime surtout que « cela ne règle rien là où les problèmes se posent ».
Car, derrière les questions de déontologie, une autre émerge : comment le journaliste et le collectif peuvent exercer leur responsabilité ? En somme, comment faire en sorte que le premier ait « les moyens et le temps de traiter un événement pour faire fonctionner au mieux les textes existants (l’un stipule par exemple que le journaliste doit “tenir la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique” – NDLR) », développe le chercheur, qui rejette la notion d’autorité, moteur de « déresponsabilisation du journaliste ». « Il y a eu des vrais sujets de déontologie, sur lesquels le CSA a émis des avis. Mais ici Jean-Luc Mélenchon pointe surtout un unanimisme des médias qui se veut contre sa position », poursuit-il. Un problème, donc, bien plus profond : celui d’une uniformisation de l’information, aux mains d’une poignée de milliardaires. Déjà, dans son rapport sur la « concentration dans les médias en France » de 2004, l’Observatoire français des médias pointait « des problèmes politiques sérieux, (un) danger pour la pluralité et donc la qualité de l’information » dans les « stratégies d’alliance » des groupes détenteurs de médias, où « les concurrents deviennent ainsi des partenaires ». Sans surprise, s’y appliquent des nominations et évolutions de carrières d’individus « privilégiés en fonction de leurs opinions et de leur manière d’appréhender l’information », souligne Jean-Marie Charon. « On trouvera encore très peu (de journalistes) pour remettre en question le système général de possession des médias, pourtant en grande partie responsable de leur situation, écrit Aude Lancelin (1). Ou pour quitter le domaine de la plainte purement locale, et réclamer autre chose que des “chartes éthiques”. » Mais le service public n’est pas exempt. À France Télévisions, où longtemps les hiérarchies ont été pilotées via un ministère de l’Information et dont les rédactions « font en sorte qu’une ligne se dégage pour un traitement moins balancé que dans d’autres services publics européens », c’est le cœur même du système médiatique qui est pointé : les commandes hiérarchiques se mêlent à une précarité croissante chez les journalistes.
Alors, au « conseil déontologique », certains préfèrent la création de médiateurs – intermédiaires entre le public et la rédaction – ou, comme l’Observatoire de la déontologie de l’information, des instances de réflexion où éditeurs, journalistes et personnalités de la société civile seraient saisis pour émettre des avis auprès des rédactions. Autre solution prônée par Alexis Levrier : que le CSA, où « l’opacité dans les nominations » demeure, joue tout simplement son rôle. Voire soit réformé pour que, comme en Belgique, son équipe soit « composée de membres de la société civile ».

Source : L’Humanité

(1) La Pensée en otage, d’Aude Lancelin (parution le 10 janvier). Éditions les Liens qui libèrent, 109 pages, 10 euros.